#EgoTime

En 2016, Shawn Coss, artiste illustrateur, participe à l’évènement #Inktober (où l’on doit dessiner des dessins à l’encre pendant un mois, à raison d’un par jour, en Octobre).
Il décide de centrer ses dessins sur les maladies et désordres mentaux.

Pourquoi je vous partage ça ?

Vous avez lu le premier hashtag, donc vous devinez : pour parler de moi (une fois n’est pas coutume).

L’un de ces dessins m’a toujours marqué depuis que je l’ai vu à cette époque, d’autant que j’étais en plein dans mon diagnostique d’autisme (qui continue aujourd’hui avec thérapie et “reboot” de ma situation mentale après pas mal de déboires).

En fait, ce concept d’avoir l’impossibilité de s’exprimer par la voix mais un cerveau qui hurle d’un besoin d’expression, ça peut paraître paradoxal, mais c’est l’un des traits typiques de l’autisme.
Selon la sévérité des traits autistiques (plus souvent appelés “TSA” pour “Troubles dans le Spectre de l’Autisme”), certain(e)s autistes sont capables de s’exprimer verbalement, ou non.

Et pour celles et ceux qui y arrivent, c’est un parcours du combattant.
C’est encore pire pour les personnes qui “cumulent” des particularités (épilepsie, TDA/H, HPI, dépression, psychoses, schizophrénie, et tant d’autres neuro-atypies, pathologiques ou pas), pour qui c’est parfois mission impossible.

De manière générale, chez la plupart des êtres humains, il y a un besoin de lien social et émotionnel qui est important (c’est biologique : c’est une technique de survie, l’humanité n’a survécu que parce qu’elle vit en communautés fortement liées).
Or, chez les personnes autistes, ce besoin de lien social est altéré, parfois complètement “coupé”, par des modifications neurologiques qui empêchent certaines interactions sociales (source: Thomas Bourgeron - “Des gènes, des synapses, des autismes”).

Pourtant, les autistes n’ont pas tous et toutes besoin d’être en isolation totale. On en trouve parfois, mais pas partout.

Il y a ce que les médias appellent les “autistes de haut niveau” (un genre de résumé vulgarisé de “à haut niveau de potentiel social et cognitif comparé aux formes plus sévères d’autismes”, j’avoue ne pas trop aimer cette définition, mais elle sert le propos dans certains cas) qui sont capables d’interactions sociales avec moins de difficultés que d’autres autistes (et dont je fais partie, du coup, si vous m’avez déjà rencontré).

Ces autistes “sociaux” font partie de celles et ceux pour qui la difficulté de vécu de l’autisme est totalement différente, car elle implique que l’on peut communiquer et échanger, et que l’autisme, par conséquent, se voit moins. Et par ce besoin social fort, ces autistes font ce qu’on appelle du “masking”, pour pouvoir conserver ce lien.

Le “masking” c’est (pour vulgariser) une méthode que les autistes emploient pour compenser leurs difficultés sociales en modifiant constamment leur comportement en fonction de leurs interlocuteurices, allant parfois même jusqu’à une forme de mimétisme (reprendre des postures, des gestes, des expressions, ou même… leur accent !), tout ça dans l’espoir de garder le contact avec la personne en face.

Ce “masking” implique pas mal de contraintes :

  • Il faut garder les yeux sur la (ou les) personne(s), et pour des autistes, garder le contact visuel avec quelqu’un est parfois très difficile
  • Être dans une vigilance permanente de son propre corps, comportement, intonation, élocution, etc.
  • Vérifier que l’on n’est pas en train de déranger ou mettre mal à l’aise la personne, donc il faut redoubler d’efforts pour analyser l’attitude de l’autre, chose très difficile car les autistes ont justement beaucoup de lacunes en la matière, voire parfois une vraie incapacité

Les deux conséquences principales sont l’épuisement émotionnel, et la rupture relationnelle parce que justement cette fatigue altère notre comportement.

Vu que la plupart des autistes ont ce trait “inné” d’avoir un besoin de lien mais une difficulté ou incapacité (variable selon les profils) à communiquer de façon “standard” avec leur entourage, imaginez donc à quel point cette “bouche cousue” (comme dans le dessin de Shawn Coss) empêche de garder un lien, et à quel point le hurlement cérébral peut épuiser l’autiste qui tente vaguement de garder un lien pourtant primordial à ses yeux.

Maintenant, rajoutez à tout cela des difficultés comme la dépression (been there, done that). Cet état mental et émotionnel implique inévitablement un accroissement de la difficulté d’expression, et ça peut arriver à un stade où l’on ne communique tout simplement plus.

À titre personnel, depuis des années, j’ai freiné sur les conférences par exemple, j’ai arrêté de faire du streaming vidéo technique, j’ai même arrêté de faire de la formation, parce que je n’ai plus d’énergie, j’ai trop dépensé, et surtout, la vie est en général très difficile, surtout si on rajoute encore l’éco-anxiété que ma génération subit à cause de la crise climatique, et des différentes crises sociales, politiques et économiques, et vous avez tout ce qu’il faut pour qu’une personne reste au sol et galère à se bouger pour quoi que ce soit d’autre que sa survie émotionnelle de base.

Je me retrouve comme sur cette image, à l’image de beaucoup d’autres autistes de ma génération : un besoin énorme de s’exprimer, mais une incapacité à le faire.

Je ne sais pas quelle peut être la morale de cet article, mais où que vous soyez, qui que vous rencontriez, je vous suggère de prendre en compte que la plupart des gens ne sont pas méchants avec vous, ils sont parfois simplement dépassés par tout ce qui les entoure, leur cerveau crie, et ils ne peuvent tout simplement pas vous le dire, car ils n’ont plus cette capacité.

Shawn Coss